La cathédrale de Bayeux est une église essentiellement gothique mais qui conserve quelques traces significatives des édifices romans antérieurs, importantes en raison de la notoriété de l'édifice et de sa place dans l'histoire de l'architecture romane en Normandie.
Bayeux est le siège d'un évêché depuis la fin de l'Antiquité et, sous les ducs de Normandie, joue le rôle de capitale seconde du duché jusqu'à ce que Guillaume le Conquérant transfère cette fonction à Caen, décision motivée au moins en partie par le rôle joué par la cité épiscopale dans la révolte matée en 1047 à la bataille du Val-ès-Dunes.
Le siège épiscopal reste cependant à Bayeux. Il est confié au demi-frère du duc, Odon de Conteville, et le plus insigne "monument" du règne, la broderie de la conquête, dite "Tapisserie de Bayeux", était exposée dans le choeur de la cathédrale où elle rappelait notamment le rôle de son commanditaire, l'évêque Odon, auprès de son frère Guillaume, et l'importance des reliques conservées dans l'église : c'est pour s'être parjuré d'un serment prononcé devant elles qu'Harold Godwinson est réputé avoir perdu le trône d'Angleterre.
La première cathédrale romane,
celle qui fut entre autres le théâtre de ces événements, a été consacrée
en 1077, mais les travaux avaient du commencer sous l'épiscopat d'Hugues
d'Ivry, mort en 1049. La crypte est le seul témoin de cette période ainsi que
les chapiteaux de la croisée du transept dégagés lors de la reconstruction de
la tour lanterne au XIXe s. La tour nord de façade contient une salle voûtée
que les archéologues s'accordent à placer à une date charnière, dans les
années 1070, pour la recherche des techniques de voûtement qui aboutiront aux
croisées d'ogives.
Parmi les éléments les plus originaux de la période romane enfin, le décor des murs de la nef est remarquable. Cette partie de la cathédrale est datée de la seconde église romane, reconstruite après l'incendie de 1105, ordonné par le roi Henri Ier Beauclerc lors de sa marche victorieuse contre son frère Robert Courteheuse. Les travaux ont du commencer dès après la stabilisation du duché suite à la bataille de Tinchebray (1106) et se poursuivre sous l'épiscopat de Philippe d'Harcourt (1142-1163). Le décor de motifs géométriques en tapis continu des arcades de la nef se retrouve sur les églises voisines de Secqueville-en-Bessin et de Thaon. Mais à Bayeux, il est réellement exubérant. Ce style très décoré trouve sans doute son origine dans les modèles anglais rapportés à la suite d'Henri Ier et qu'on voit se diffuser dans beaucoup d'église normandes dans le premier tiers du XIIe s. Les motifs de beakheads (têtes d'oiseaux mordant un tore) et de chevrons présents aussi sur les arcades de Bayeux en sont d'autres éléments caractéristiques.
Les bas-reliefs des écoinçons
sont plus énigmatiques : deux évêques bénissant sont bien attendus dans un
édifice religieux ; le lion n'est pas étranger au bestiaire normand à
l'époque romane, mais le dragon, le griffon et le bateleur montant un singe
sont plus exotiques. On peut rapprocher ces sujets et leur traitement
iconographique des miniatures des manuscrits anglo-saxons, mais il est difficile de ne pas évoquer
aussi à leur sujet des
influences nordiques ou orientales qui ne sont pas nécessairement
contradictoires. Les contacts entre le monde anglo-normand et le monde nordique
sont bien attestés au XIIe s., et les
pays scandinaves ont toujours gardées ouvertes les routes de l'Est, vers
l'Orient. D'autres contacts étaient possibles par la route des pèlerinages et
des croisades, notamment par l'intermédiaire du royaume normand de Sicile où
certains sujets étaient sans
doute plus familiers. Mais rien ne permet de confirmer ici un échange entre les
deux mondes normands.
J.-M. Levesque
Bibliographie