4 |
Vivre en ville |
L'habitat urbain dans les grandes villes normandes
L'art de bâtir dans l'espace anglo-normand est surtout connu par les chefs d'œuvres de l'architecture militaire et religieuse, et les modes de vie, pour les périodes du XIe et XIIe s., par des fouilles d'habitat chevaleresque, essentiellement dans un environnement rural.
L'habitat urbain est plus difficile à saisir en raison des nombreuses destructions et reconstructions à travers les siècles sur le même espace, mais aussi en raison d'idées préconçues sur le paysage urbain de la fin du moyen âge, tel qu'il a été préservé, et souvent en partie reconstitué, et dans lequel domine l'architecture à pans de bois. Les recherches archéologiques, et la confirmation par les textes de la fréquence des incendies ravageant des quartiers ou des villes entières, montrent que cette impression n'est pas fausse. La construction en bois est sans doute majoritaire, mais elle n'exclut pas la présence d'un habitat civil en pierre, au moins dès le XIIe s. dans les grandes villes du duché.
Les études les plus poussées ont été menées à Rouen où l'intérêt pour le sujet a été relancé par la découverte de riches demeures et d'autres bâtiments construits dans le "Clos des Juifs". Ces constructions présentaient, dans les techniques et le décor, tous les traits de l'architecture romane normande.
Des études systématiques ont permis de repérer à travers les archives ou la prospection archéologique d'autres maisons en pierre construites dans la capitale de la Normandie sur des dispositions comparables. Le plan est quadrangulaire avec des murs très épais appareillés en belle pierre de taille. Le premier niveau, en partie enterré, est voûté comprenant un cellier, mais pouvant aussi ouvrir sur la rue pour les besoins d'un magasin ou d'une boutique. Un étage d'une seule pièce sur plancher comprend la salle de réception, un deuxième étage, pas toujours représenté, accueille les chambres. Enfin, l'ensemble peut recevoir un grenier sous les combles.
Cette disposition à deux ou trois niveaux rappelle à l'évidence l'habitat aristocratique : communs en sous-sol, aula (salle de réception) et camerae (appartements privés) dans les étages. La présence d'éléments de confort, comme des cheminées murales et parfois des latrines accessibles dans le bâtiment principal, confirment que ces maisons étaient la propriété de riches marchands, ou de clercs et de laïcs chargés des affaires du duc ou de l'archevêque, et capables de se hisser au niveau du mode de vie de l'aristocratie. Le riche décor sculpté qui a été retrouvé : chapiteaux supportant les voûtes des salles basses, ouvertures à colonnes et voussoirs, murs décorés d'arcatures aveugles et d'arcs en bâton brisé, doit amener à reconsidérer en partie notre vision du paysage urbain au XIIe s.
Bibliographie :
- Dominique Pitte, avec la collab. d'Eric Follain. - La maison rouennaise en pierre au XIIe et XIIIe s. - Patrimoine normand, 40, nov.-dec. 2001-janvier 2002, p. 44-51.
- Dominique Pitte. - Rouen (Seine-Maritime), XIIe s., grande maison en pierre à deux étages sur cellier semi-enterré. In : Cent maisons médiévales en France, Paris, CNRS, 1998, p. 207-209.