Les travaux des champs

Les XIe et XIIe siècles marquent le moment où l'homme devient maître de la terre. En Normandie, l'accroissement de la surface cultivée par rapport aux terroirs anciens peut être estimé à 20 ou 50 %. Les régions les plus riches et les plus peuplées semblent avoir été encore celles des plaines défrichées depuis l'époque romaine où la culture céréalière est la plus facile : plaine de Caen, plaines côtières du Bessin et du Cotentin oriental, Pays de Caux, riches plaines de l'Eure sur la frontière âprement disputée au roi de France. Les régions de bocage sont de défrichement plus récent, mais c'est justement la grande avancée économique des XIe et XIIe s. Ce progrès ne fut pas le fait d'une immigration ou d'une colonisation mais de l'installation sur de nouvelles terres d'individus ou de groupes familiaux. La toponymie en a gardé la trace dans les noms de lieux associant un nom de famille avec la terminaison "-ière" ou "-érie".

Cette maîtrise du sol est rendue possible par les progrès techniques. Les fouilles archéologiques ont prouvé que l'utilisation du fer dans l'outillage est plus fréquente, pour des usages plus variés, dès cette époque. La Tapisserie de Bayeux nous montre que la Normandie est en avance dans l'utilisation de certaines techniques comme l'attelage de chevaux - en concurrence avec les bœufs - pour le labour, l'utilisation de charrues avec avant-train à roues, et la technique du hersage. Les paysans normands savent aussi utiliser des techniques d'amélioration des sols, comme le marnage en Pays d'Auge et Pays d'Ouche et l'emploi de la "tangue", un engrais naturel produit par l'accumulation de la vase dans les estuaires marécageux du Cotentin et du Bessin. Le moulin à eau est utilisé pour moudre le grain mais aussi pour des usages artisanaux (moulins à tan, moulins à foulons). Enfin la Normandie ducale voit l'introduction d'une innovation considérable, le moulin à vent, sans doute d'origine orientale, attesté dans le Cotentin (Montmartin-en-Graignes) en 1180.

La Normandie a fondé dans cette période une réputation de richesse, essentiellement agricole, qui attire les convoitises. Elle est l'ornement de la couronne des Plantagenêts, et le roi de France, maître de la province au début du XIIIe s., en tirera le quart de ses revenus.